La location de vêtements est-elle réellement plus polluante?

Si le sujet de la location de vêtements vous intéresse, vous n’êtes sans doute pas passés à côté de l’information. La location de vêtements ne serait finalement pas bénéfique d’un point de vue environnemental comme le rapportent de nombreux articles de presses suite à un premier article publié par The Guardian le 6 juillet 2021. L’article du Guardian renvoie à une Lettre de recherche publiée par des chercheurs finlandais dans la revue Environmental Research Letters en mai 2021. Pour information, une lettre de recherche est une forme d’article scientifique, généralement plus court, qui apporte une contribution nouvelle et importante au domaine étudié et qui demande donc une procédure de publication plus rapide que celle des articles scientifiques dits classiques.

Dans le cadre d’Ecy-Twin, nous nous permettons d’apporter des éléments d’éclaircissement concernant les hypothèses prises en compte par les scientifiques et qui mènent à ces résultats.

Premièrement, il convient de noter qu’il s’agit d’une étude purement théorique, c’est-à-dire qu’aucune étude de cas n’est menée et que donc les données utilisées sont théoriques  : “The developed scenarios are theoretical in that they do not describe a business model or a practice of any individual company or actor.” (Levänen et al., 2021, p. 3)

L’étude compare donc les impacts engendrés par différents scénarios fictifs de consommation d’un jean. Deux scénarios nous intéressent particulièrement. Le premier scénario, qui renvoie à une consommation linéaire de type achat-utilisation-déchet et le cinquième scénario qui est celui de la location d’un jean (économie de fonctionnalité). La méthodologie utilisée pour mener cette comparaison est l’Analyse du Cycle de Vie (ACV), méthodologie la plus reconnue par la communauté scientifique pour mesurer de manière précise les impacts environnementaux.

L’hypothèse la plus déterminante, selon nous, est le fait que dans le scénario de location, l’usager se rend systématiquement en voiture sur le lieu où il récupère le jean. De plus, le trajet en voiture est uniquement effectué dans le but de récupérer le jean et rien d’autre. Il n’y a donc aucune allocation pour le trajet entre les différents objectifs du trajet. À savoir qu’en ACV, il convient normalement de prendre en compte l’ensemble des objectifs d’une activité et d’allouer les impacts de l’activité proportionnellement à chaque objectif qu’elle permet. Cette hypothèse nous parait très peu réaliste. En outre, dans le cas où l’offre aurait lieu en ville, il est par exemple impossible que l’ensemble des usagers (qui auraient par ailleurs choisi cette solution surement en partie par sensibilité écologique) se rendent sur place en voiture. Des données existent sur les modes de transports utilisés en fonction des distances des déplacements en ville et il n’est jamais fait mention d’un usage de la voiture à 100%. D’autre part, il est probable qu’au moins une partie des usagers couplent le fait d’aller chercher le jean avec d’autres courses ou toute autre activité pouvant être effectuée au cours du trajet. Dans ce genre de cas, il convient donc d’allouer une certaine proportion du trajet à chaque activité effectuée grâce au trajet, mais également de prendre en compte l’utilisation d’autres moyens de transports. Il convient néanmoins de souligner que les auteurs ont conscience de ces biais, mais ne les prennent toutefois pas en compte dans leur scénario principal, qui est pourtant celui sur lequel ils communiquent leurs résultats, qui ont par la suite, été repris dans la presse.

Une autre hypothèse discutable concerne le lavage. En effet, il est dit que dans le scénario de la location, que le jean est lavé par l’entreprise de location. Il y a donc fort à parier que cette entreprise utilise des machines de lavage industrielles et bénéficie d’économie d’échelle par rapport à un lavage en machine chez le particulier. Néanmoins, les mêmes données de lavage et d’entretien sont utilisées dans les deux scenarios : “The same number of washes and electricity consumption of washing were assumed for all scenarios no matter whether washing was done by a consumer or a sharing service provider.” (Levänen et al., 2021, p. 4). Ce choix n’est donc pas cohérent avec les scénarios tels qu’exprimés par les auteurs.

Enfin une troisième hypothèse est qu’il s’agit du même jean dans les deux scénarios. Cette hypothèse nous parait plausible. Néanmoins, il est à noter que la théorie autour de l’économie de la fonctionnalité ne va pas dans ce sens. En effet, l’un des principes de base est que pour avoir une offre rentable, l’entreprise de location a tout intérêt à proposer un produit éco-conçu pour durer plus longtemps, car au plus longtemps il reste en usage au plus longtemps l’entreprise capte de la valeur en le louant. Nous ne disons pas que dans la réalité tous les loueurs de vêtements proposent des vêtements plus résistants, néanmoins, puisque les auteurs ont utilisé une approche théorique jusque-là il est dommage de ne pas l’avoir utilisée également sur la définition du jean proposé à la location.

Ainsi, le seul et unique paramètre qui change entre le scénario d’achat et le scénario de location est le fait que l’utilisateur se rend en voiture tous les 10 usages dans un lieu situé à 2 km de chez lui pour changer de jean. Partant de là, il était simple de présumer des résultats de l’étude.

Par ce petit billet, nous souhaitions apporter des éléments de compréhension à quiconque se demanderait comment de tels résultats ont été calculés.